20/03/2022
Premier extrait du livre "Les Enfants du Ça"
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Les Enfants du Ça
Extrait: " Jim et Argos."
Synopsis: Orell se réveille, frénétique et illuminé, un nouveau matin déchiré par une soif d’absolu. Il n’a qu’un désir, trouver plus fort, l’extase et le chaos, la liberté ultime : le Ça.
Sur la route avec Jim Hanya Cox, son indomptable compagnon, ils vont errer dans les vapeurs de whisky, les tourmentes, les substances, et toutes sortes de désordre majestueux qui pourra les rapprocher de leur vision d’éternité.
(...)(page 15)" Et Jim, vautré sur une petite plateforme, douché par le Soleil, les bras dans le vide, le corps étiré dans un sommeil alcoolisé, se tient là comme l’animal chassé par la Civilisation. Il prend conscience de ma présence lorsqu’en m’approchant de lui, ma bière lâche un petit « pschitt » de vie par la languette tirée. Il ne bouge pas d’un poil mais je sais pertinemment que son cerveau a déjà compris toutes les ramifications de ma venue, son aura s’émoustillant de bon aloi.
Jim est grand, les cheveux longs, bruns et reluisants, qui retombent en larges boucles douces sur ses épaules et capturent toujours la présence des lumières. Il n’a pas le corps athlète, n’est pas formellement carré mais il se meut dans une forme féline et élancée dont tous les muscles étirent des mouvements fins et sculptent des morceaux de chairs incessamment tendues, dansantes et épaisses. Une chair qu’il aime à vêtir de parures prestigieuses, flanelles orientales, bottes texanes, toutes sortes d’ornements culturels ou référencés qui lui acéreraient son image d’individu singulier à qui l’on doit une déférence particulière. Ses traits et son corps portent une sauvagerie charnelle, mais son magnétisme est d’une douceur suave et pénétrante. Souvent, parfois de son amour, parfois malgré lui, c’est la chaleur de sa culture natale qui transpire dans son allure, notamment du brun subtil de sa peau : Jim étant né et ayant grandi dans les dernières réserves Hopi.
Tantôt noir tacite, terrible rage silencieuse pénétrant ses yeux intenses, tantôt orange vif sémillant, explosant dans tous les délires de la Vie, Jim est le compagnon de chaos incontestablement parfait. Comme moi, il fait partie du monde d’à côté, le monde du Désert. Et comme pour chaque rare homme du Désert qui marche au milieu d’une rue peuplée de l’Autre monde - le monde commun - Jim n’est soit que l’homme invisible, fantôme visiteur des Autres qu’ils ne croiront jamais avoir croisé, soit l’épicentre magnétique de tous les regards intrigués, amoureux, fascinés, pris en otage par l’imposante émanation de sa grandeur individuelle.
Et en presque tous points, nous nous ressemblons. Il n’y a pas une personne au monde qui ne soit plus constamment touchée par le cri du Ça que Jim Hanya Cox. Personne avec qui je ne pourrais passer autant d’heures, de semaines entières, sans discontinuer, à ne parler que du rêve de l’Orgasme Ultime et du point le plus extrême de toutes choses.
Pour ceux qui m’entourent, je suis un sorcier du Ça. Mais quand bien même, pour une soirée d’anthologie en la matière, tout le monde fantasme en s’arrêtant fermement à l’idée que, pour le plus grand désastre ou la plus belle flamme à déchirer d’une nuit, Jim doit faire partie de la dérive. Ce prince incontrôlable peut donner l’allure d’un Dieu sur terre, ou tout autant d’un abruti fini. Pour certains, ceux qui ont tenté de boire des verres avec Jim seul à un bar, il apparait comme un personnage ennuyeux, gênant, souvent révélant un caractère plus que grossier. Pour d’autres, il devient un pauvre gars imbu sans intérêt.
Et moi sans lui, ressemble souvent au feu sans sa braise. Les étrangers d’un soir qui nous croisent restent perplexes, ne sachant si lui et moi nous connaissons depuis mille ans ou si l’on vient tout juste de se rencontrer ; frères, ou ennemis forcés à se tenir compagnie. Jim et moi, pour tout le monde, c’est de la magie noire.
— Ce soir, on retourne le monde mon frère. Comment on s’y prend ?
— Comme tu veux, mon ami - avec sa petite voix doucement désintéressée-
Le Soleil frappe au zénith. Tout peut arriver. J’adore cette rampe de lancement.
— Bois une bière avec moi Jim.
Levée. Début d’une nouvelle journée. Engloutissement d’une première bière.
— Ça y’est ! Quoi ? Maintenant, c’est lancé !
— Tu trouves les gars, et je pars avec toi.
— Tout le monde… Portes ouvertes, fenêtres ouvertes, carnage du Badsan. Ses yeux divaguent quand je projette ce futur.
— On va commencer par attiser Argos pour lancer le truc ensemble.
Quand Argos décroche son téléphone, après 3 appels longuement étirés, il est trahi par sa voix cauteleuse, faussement occupée. Il sait que je n’appelle jamais pour prendre des nouvelles. Et l’idée d’être pris en otage par mes exhortations soudaines le plonge toujours dans un inconfort existentiel.
Car s’il y a un homme qui se pose à la limite des deux mondes, c’est bien Argos. Espoir du Ça, névrosé, tourmenté en tous points, il ne perçoit pas qu’en rationalisant et questionnant toutes formes de liberté par le prisme de l’Autre monde, il ne verra rien.
Argos, c’est le flux de sentiments et de volonté exacerbés transformés tragiquement par la peur et les structures en une angoisse, un vide fatigué de toute création et une léthargie. Il n’attend qu’une chose, c’est qu’on le tire de force dans le Désert, radicalement, qu’il ne puisse plus jamais voir dans son dos le monstre d’images qui l’envoûte et l’attire sempiternellement ; qu’il puisse, jubilant, enfin rouvrir les yeux pour réaliser que tout est fini, le cordon est coupé, et jubiler un « Ouais ! » de voir tout ce qui lui reste à vivre de ce côté, et quand bien même il est le plus grand joueur ici, à chaque fois qu’il en a l’opportunité, il reporte à demain. Il saute en plein dedans une soirée, brûlerait la terre entière, hurlant, brisant, adressant un majestueux doigt d’honneur à toute maternité, paternité, autorité, image, images, enculés, images, je vous encule, je vous encule, images…., images….., l’alcool redescend…., images j’en ai rien à foutre……..., société….., images….., humanité….., le monstre revient….., évite le…..évite le….éviteleÉVITELEtunepeux rien faireçaNE CHANGERA JAMAISÇANECHANGERASJAMAIS je suis maudit ÇANECHANGERAJAMAIS jamais
Et Argos est reparti.
Voilà pourquoi il met autant de temps à me bredouiller qu’il est un peu pris, qu’il ne sait pas trop, il est déjà un peu mort, que là il est bien, il a des choses à faire ; car pour lui, tout ça signifiera encore un sacré combat virulent. Un jour peut-être une mise à mort.
— A la limite, on se capte un coup maintenant, tu sais je suis sur Dijon, mais après je dois retourner chez mes parents, frère.
Argos a laissé sa porte entrouverte. Il ne reste qu’à lui ouvrir complètement. Jim et moi emboitons le pas derechef."
Les Enfants du Ça - extrait page 15
Orell Kingzy